2023…

Je n’attache pas une grande importance aux gesticulations euphoriques censées saluer l’année nouvelle et si je souscris encore cette fois à l’exercice formel des vœux, c’est plus pour dresser le constat d’une année politique décevante. Et puis aussi parce qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas écrit de billet sur ce blog… En fait, ces deux raisons sont étroitement corrélées : je n’éprouve plus de véritable intérêt pour une vie politique qui ne cesse de bégayer stupidement et ne sait pas offrir de perspectives concrètes aux gens.

Rien ne change. Il serait cependant faux de dire que l’année n’a pas été fertile en évènements internationaux et échéances politiques, mais au bilan, quoi de neuf ? Rien.

La guerre ? Ce n’est pas neuf. Certes il n’y en avait pas eu en Europe depuis 2001 et la fin des conflits successifs de l’ex-Yougoslavie, mais au cours du XXIème siècle, l’Afghanistan et la Côte-d’Ivoire (2001), l’Iran (2003, puis 2014), le Pakistan (2004), la Centrafrique (2004, puis 2013), la Somalie (2007), la Géorgie (2008), la Libye (2011 puis 2015), le Mali (2012), la Syrie (2014), ont connu des guerres, et j’en oublie sûrement sans même évoquer les conflits qui durent encore comme la persécution des Palestiniens par l’État d’Israël ou les bombardements au Yémen par l’Arabie Saoudite dont on parle peut-être moins car la France vend à celle-ci ses obus, ou est-ce parce que les victimes sont plus lointaines et moins blanches que les médias y consacrent moins d’attention ? 2022 a ajouté l’Ukraine à cette liste d’horreurs. En attendant les prochains…

Rien non plus au plan national. Juste une élection présidentielle, des législatives, des éclats de voix et des 49.3 en rafale pour que rien finalement ne change, sinon peut-être l’accélération du délitement des formations politiques. Et de toutes les formations politiques si ce n’est le Rassemblement national, sans que pour autant lui non plus n’offre de perspective concrète autre que la captation et le dévoiement d’une désespérance populaire bien réelle quant à elle.

S’il y a une chose sur laquelle il va falloir s’interroger et peut-être procéder à des révisions douloureuses de nos représentations de la vie politique, c’est bien ce délitement des partis qui naguère portaient les intérêts des différentes composantes de la société et étaient l’outil leur permettant l’accès au pouvoir. Aujourd’hui les gens s’en détournent, d’abord parce qu’ils ont été déçus de leur action, ensuite car ces partis n’offrent plus la formation des esprits et la colonne vertébrale idéologique qui assuraient leur homogénéité. L’appropriation individuelle des analyses politiques qui au siècle dernier passait par le débat collectif et se construisait en commun est maintenant assurée par les chaines télévisées de blabla continue et le grand foutoir d’internet : la réflexion collective en interaction réciproque a été remplacée par le discours à sens unique de prétendus experts émargeant auprès des quelques milliardaires qui tiennent l’essentiel des médias et par les fake-news complotistes aux sources invérifiables d’internet; au débat argumenté a été substituée une culture du clash et des petites phrases, du bon mot qui esquive le fond des questions.

La forme d’organisation traditionnelle du parti politique, confrontée à cette évolution sociologique qui est une véritable régression intellectuelle, s’écroule. C’est vrai des partis de gauche qui ont perdu leur rôle formateur des classes populaires, mais c’est vrai aussi de la bourgeoisie qui assure sa domination des consciences non plus à travers les formations politiques, mais directement par les médias, et surtout dans une relation qui s’adresse à l’individu personnellement et non plus au groupe. La dégringolade électorale des Républicains aux deux échéances de 2022 en est une des conséquences : la bourgeoisie lui a préféré Macron, la droite populaire, Marine : le parti sarko-filloniste est resté à poil ! Mais si la classe dominante a choisi le macronisme pour porter ses intérêts, ce n’est pas sous la forme d’un véritable parti structuré de façon territoriale qui ne parvient toujours pas à émerger, même sous la nouvelle dénomination d’une supposée « Renaissance » et seuls subsistent des micro-partis dont l’unique vocation est de capter le financement public. On a vu également que même l’appareil médiatique chargé du formatage des esprits, pourtant à grand renfort de moyens, n’est parvenu qu’à l’éphémère surgissement d’un Zemmour qui n’a pu se concrétiser sous la forme d’une organisation durable.

Le parti communiste est à la peine depuis des années, les premiers coups lui avaient été portés à l’époque mitterrandienne, la chute de l’URSS qui était pourtant bien loin de porter un véritable idéal communiste, a affaibli la crédibilité de l’avènement possible de celui-ci et c’est dans une crise interne profonde qu’il a abordé le XXIème siècle. Je ne sais pas s’il s’en remettra, en tout cas ce ne sera pas possible sans une profonde analyse critique du modèle soviétique et le projet clair d’un communisme nouveau retrouvant aussi les sources libertaires du mouvement social français du XIXème siècle et de la Commune.

Plus fulgurant a été l’effondrement du parti socialiste : l’unité de ses différentes tendances ne perdurait que par l’intérêt commun d’être un bloc électoral lui assurant le maintien de ses baronnies, sans véritable colonne vertébrale idéologique. Déséquilibré par le départ, même s’il ne fut que partiel, de son aile gauche derrière Mélenchon, il poursuivit son glissement centriste vers le social-libéralisme jusqu’au moment où son aile droite se rallia complètement au libéralisme macronnien, laissant le vieil appareil complètement déplumé.

EELV n’a jamais vraiment existé en tant qu’organisation politique cohérente et unifiée. Si cette formation a pu revendiquer 15 000 adhérents, le Canard enchaîné (édition du 12 juillet 2017), généralement bien informé, ne lui en attribue que le dixième, soit 1 500… Ce parti tire sa relative influence dans la société de la prise de conscience écologique de larges secteurs de celle-ci, jeunes urbains diplômés plus particulièrement mais ne répond pas aux questions sociales immédiates des couches moins favorisées.

Le cas le plus intéressant est celui de la France insoumise. Depuis plus de dix ans, Mélenchon, peut-être conscient de l’impasse actuelle des partis traditionnels s’est lancé, à travers une série d’approximations (Parti de gauche, Font de gauche, Ère du peuple, Convention ou autre assemblée représentative, etc.) dans la création d’un mouvement qui ne tire finalement son unité que de sa propre personne mais a néanmoins réalisé une réelle percée dans la société, en particulier grâce à l’alliance de toute la gauche dans la Nupes. Pour spectaculaire qu’ait été l’émergence des Insoumis dans le paysage politique, ils n’en connaissent pas moins une crise profonde actuellement : l’absence des statuts clairs qui fondent le fonctionnement démocratique d’un parti traditionnel s’est souvent manifestée, en particulier lors de la désignation de candidats, par le fait du prince et le parachutage autoritaire. Ces dernières semaines, la redéfinition de la direction opérationnelle du mouvement (la « Coordination des espaces ») a mis sur la touche des personnalités comme Clémentine Autain ou François Ruffin qui se démarquaient quelque peu de la ligne du chef, mais a aussi écarté des « chapeaux à plumes » historiques du Parti de gauche, comme Corbière ou Garrido… ce n’est pas la première « purge », déjà en 2019 François Coq avait été exclu et Charlotte Girard était partie dénonçant un manque de démocratie interne (elle avait été fondatrice avec son compagnon François Delapierre et Jean-Luc Mélenchon du Parti de gauche). Ce nouveau verrouillage de l’appareil, ajouté aux divisions suscitées par l’affaire Quatennens et sur fond d’une succession du grand chef ébranle profondément le mouvement et ne manque de rappeler les querelles internes du PS et les psychodrames de ses congrès…

Ce que je retiens de ce lamentable panorama, c’est que l’emprise croissante du capital sur la société et plus particulièrement sur les médias a généré un terrible recul de la démocratie citoyenne, de par un discours constant de dénigrement des organisations politiques et syndicales comme des mouvements sociaux collectifs, en imposant avec obstination et méthode ses pré-construits idéologiques et ses thématiques, en mobilisant toute l’attention sur le spectacle distrayant des clashes au détriment de la réflexion, plus exigeante donc moins paresseuse. Cette régression est à la fois le vecteur et le produit du capitalisme libéral : elle porte et transmet sa représentation du monde individualiste et consumériste et est en même temps une industrie, un produit médiatique rentable ; avec les technologies moderne elle a acquis une puissance de plus en plus difficile à contrer.

2023 sera l’année du 39ème congrès du Parti communiste français et j’aurais sûrement l’occasion d’en reparler, mais si je dois émettre un seul vœu pour cette nouvelle année c’est que le débat ne se réduise pas à un affrontement de tendances, qu’au-delà des querelles entre identitaires et unitaires (pour simplifier outrageusement le clivage), soient réellement prises en compte la place et la forme de l’organisation politique dans la société du XXIème siècle. Je reconnais ne pas avoir de réponses à ces questions, c’est aux nouvelles générations de maintenant les apporter.

JPR

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