Les petits chevaux…

capture-decran-2017-03-02-a-11-35-06On a tous, dans notre enfance, joué à ce jeu indémodable : chacun à son tour jette les dés et fait avancer sa figurine de pur-sang sur les cases d’un plateau. Remplacez les dés du hasard par d’aussi hasardeux instituts de sondage et les canassons en plastique ou en buis coloré par de pontifiants cornichons et vous obtenez une campagne médiatique de l’élection présidentielle en France… Enfin, c’était comme ça jusqu’à maintenant : désormais, sondeurs et chroniqueurs ont perdu la main et ce sont les juges et les policiers qui font avancer —ou plutôt reculer à coups de cravache— nos bourrins et haridelles…

Il faut dire que cette fois le feuilleton ludique nous gâte en rebondissements, des sortants sortis aux divers épisodes judiciaires, des ralliements négociés sous la table aux coups de poignards dans le dos, des concerts de casseroles aux lancers d’œufs, de la complainte des égos mortifiés aux menaces contre les juges et fonctionnaires, nous assistons à une pantalonnade sans précédent… au point qu’à moins de deux mois de l’échéance nul commentateur n’ose afficher un avis tranché sur le résultat : le jeu est ouvert et je me garderai moi-même de tout pronostic.  Nous assistons tout simplement à la décomposition des deux grands « partis [dits] de gouvernement ». N’hésitons pas à ajouter que celle-ci est bien méritée !

Le candidat des médias

Bon, les médias ont apparemment choisi leur candidat, ce gendre  parfait, riche, propre sur lui et souriant qu’est Macron.  Je l’ai déjà dit, je ne crois pas à sa victoire : j’ai la conviction que le clivage droite-gauche reste structurant de l’inconscient politique national, même quand il y a rejet violent des hommes qui incarnent cette droite et cette gauche dont les partis hégémoniques se délitent à grande vitesse.  Ce rejet suscite des sentiments forts : colère et dégoût, et ces sentiments-là ne peuvent se satisfaire d’un entre-deux, d’un ni-ni ou d’un et-et, même s’ils traduisent l’aspiration à du nouveau… Je ne crois donc pas à la victoire d’un Macron. Le problème est que je ne crois non plus à la victoire d’aucun des autres, et que finalement, il pourrait quand même gagner par défaut : une bulle de néant venant crever à la surface du marigot insalubre.…

Son erreur, qui fut souvent celle des socialistes, est de penser que la forme remplace le fond —ou le dissimule—, que le support est plus important que le message. Son « projet » n’est fait que d’apparences, de mots creux et euphorisants pour tenter de faire passer une politique libérale tout-à-fait dans la ligne du hollandisme.  Celle  que justement les Français rejettent très majoritairement ; tôt ou tard —pourvu que ce ne soit pas trop tard !— ceux-ci s’en apercevront. Il n’émerge actuellement que du fait de la confusion qui l’entoure : troubles et incertitudes à sa droite et divisions et reniements à sa gauche : si la situation parvenait à se stabiliser, il connaîtrait vite la relégation des Lecanuet et autre Bayrou. Le problème demeure qu’il n’y a aucun signe de stabilisation ni d’un côté ni de l’autre…

La candidate du rejet

L’autre pôle semblant émerger, c’est bien sûr Marine Le Pen. Bien qu’on aime à se faire peur, je ne crois pas non plus qu’elle puisse être élue en 2017 : sa force tient au rejet massif des politiques menées alternativement par la droite et la gauche dites de gouvernement, rejet aussi de la caste qui les a conduites et en a bénéficié, mais sa faiblesse vient d’un autre rejet encore plus massif et dont elle fait encore l’objet, même si sa dédiabolisation progresse. Elle perturbe certes la médiocre alternance habituelle du pareil et du même « en moins pire », elle s’en nourrit aussi, mais son rôle objectif reste toujours aujourd’hui d’assurer sans appel la victoire de l’un des deux, d’une part, parce qu’elle pousse les candidats d’un même camp du premier tour au compromis contre elle  : ils doivent s’unir pour accéder à la qualification, d’autre part car elle ne laisse guère d’alternative aux électeurs républicains lors du second tour où il faudra bien faire barrage… Finalement, elle conforte le système qu’elle affirme combattre. Ou plutôt, elle le conforte encore aujourd’hui, mais plus pour très longtemps : un jour, la détestation dudit « système » sera plus grande que la sienne propre et après un nouveau quinquennat de social-libéralisme version Macron-PS ou d’ordo-libéralisme brutal revu par Fillon et aggravé par la droite extrême de Sens Commun, il y a un vrai risque de la voir triompher en 2022.  C’est bien pourquoi le plus grand danger immédiat tient à toutes les formes de libéralisme, et particulièrement à celui de l’Union Européenne dont ce nouveau fascisme montant fait litière : mettre un coup d’arrêt à ce dernier, c’est d’abord éliminer sa cause première, celle du rejet populaire : l’inégalité sociale qui ne cesse de s’approfondir, la misère et la précarisation des couches populaires engendrées par les politiques européennes d’austérité.

Les victimes des primaires

Censées rassembler les forces derrière les chefs de file des deux camps, les fameuses primaires dont on fit grand battage les ont fait imploser, rendant manifeste l’absurdité de ce choix dont le seul but initial était que rien ne change. L’unité de la droite n’a pas résisté à l’affaire Fillon et la débandade dans son état-major est telle que je ne sais pas au moment où j’écris ces lignes s’il sera encore candidat demain quand je les publierai, alors que l’aile la plus réactionnaire de son camp organise une manifestation aux relents séditieux, voire cagoulards pour essayer de relégitimer le candidat aux yeux de son propre parti.

L’autre bord des « partis de gouvernement » ne se porte guère mieux et la « belle alliance » promise derrière le vainqueur de la primaire de la petite gauche s’est transformée en l’équation insoluble consistant à concilier les auteurs éliminés des politiques libérales avec ceux qui les ont rejetées. L’écart entre les lignes politiques est tel que tout compromis est impossible et les rats sociaux-libéraux écartés renient la règle solidaire qu’ils avaient édictée eux-mêmes pour asseoir leur domination quand ils croyaient encore l’emporter. Non seulement ils quittent un à un le rafiot branlant, mais s’emploient même à activer son naufrage. Le pauvre Benoît Hamon, faute d’avoir admis que le PS, après le gâchis du quinquennat dont il fut partie prenante, ne pouvait en aucun cas être qualifié pour mener la gauche est condamné à rester sur un créneau minoritaire, coincé entre, d’un côté, la direction de son parti qui se réclame du bilan « positif » de François Hollande et de ses honteuses lois Valls-El Khomri-Macron et autre CICE, et, de l’autre, Mélenchon, « soutenu » par les communistes sur une ligne radicalement opposée.

Mélenchon est aussi une victime collatérale de la primaire socialiste dont le vainqueur, réputé « frondeur », captera une part de l’électorat de gauche qui n’aurait jamais voté pour Valls, mais peut-être pour le candidat de la France insoumise. Paradoxalement, ce système des primaires, pensé pour renforcer le bipartisme, est en train de le détruire !  Amputé donc de l’éventuel ralliement des « frondeurs », Mélenchon commet de surcroît l’erreur de maltraiter les communistes et n’aura sûrement pas un soutien unanime de leur part.  Son pari est de ramener les abstentionnistes au vote, mais, quelles que soient ses dénégations, tout son édifice repose sur son seul talent : aucun appareil militant réel de terrain, aucun relais dans les territoires et les quartiers. Son verbe est certes puissant, mais suffira-t-il ?

Que dire à ce moment d’une campagne particulièrement labile, hormis constater cette décomposition du système de la Vème République qui rend la situation imprévisible ?  Attendons le rebondissement suivant…

JPR

3 réflexions sur “Les petits chevaux…

  1. jean luc sfartman

    bonsoir Jean Paul,
    je te lis à chaque fois avec beaucoup d’intérêts et partage le plus souvent tes positions.

    je ne reviens pas sur la situation politique du pays, sur les problèmes que rencontre la droite, sur le danger le pen, sur l’explosion annoncée au ps…tout cela nous fait ressembler de plus en plus à une république bananière.

    moi, je soutiens Mélenchon et cela malgré ses torts, ses erreurs et ses contradictions internes, sur lesquelles on pourrait discuter longtemps.

    tu dis qu’il maltraite les communistes, soit, c’est plutôt vrai….mais les communistes n’ont-ils pas eu certaines positions ambiguës avec le ps lors d’élections intermédiaires pour tenter de sauver quelques élus?(quitte à mettre à mal le front de gauche)

    pour moi, Mélenchon c’est celui qui a redonné quelques couleurs (plutôt rouges) en 2012, après plusieurs présidentielles catastrophiques ( le 1.93% de 2007 ne passe toujours pas), avec un programme cohérent pouvant fédérer la « gauche de la gauche ».

    A ce titre, l’avenir en commun, est une relative copie fidèle de l’humain d’abord.

    Le pc, a voté à 53% pour le soutien à Mélenchon, mais ce vote aurait-il été le même si les résultats de la primaire du Ps avaient été connus à l’époque? Le pc ne se serait-il pas (peut-être , )rallié à Hamon? Tentant non?

    Tout ceci pour dire que les torts sont plutôt partagés et qu’il y a aujourd’hui mieux à faire que de se les renvoyer .

    Tu dis que Mélenchon n’a aucun appareil militant réel du terrain…oui…c’est plutôt vrai.

    et bien, On vous attend les copains.( depuis que je m’intéresse à la politique, le Pc a toujours apporté ses forces militantes actives et efficaces: du programme commun à l’humain d’abord.)

    je vais, pour terminer, rappeler le joli conte du colibri.

    « lors d’un incendie terrible dans une forêt tropicale, tous les animaux se sauvent en totale débandade.
    Tous, sauf un petit Colibri, qui inlassablement vole jusqu’à la rivière, et revient avec quelques gouttes d’eau qu’il verse sur les flammes.
    les animaux lui disent  » tu es fou, ça ne sert à rien ce que tu fais, tu vas t’épuiser pour rien, viens sauve toi avec nous ».

    et lui de répondre: « peut-être,mais au moins, j’aurai fait ma part ».

    Alors, que le peuple de gauche fasse sa part . (si tu le souhaites je pourrai te donner les dates de distribution de tracts prévues dans les jours prochains par quelques soutiens qui veulent être de moins en moins isolés.)

    Mes amitiés mon camarade.

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    1. Salut Jean Luc,

      D’abord, je tiens à te préciser que je voterai Mélenchon, je l’ai déjà écrit ici. Mais je le ferai un peu comme un « malgré nous ». Je connais par contre beaucoup de communistes qui ne voteront pas JLM, contre la consigne de la direction du PCF…
      Oui, Mélenchon maltraite les communistes. Je ne pense pas, si tu me lis, que tu puisses me soupçonner d’une quelconque indulgence pour le PS, mais la question des accords aux élections intermédiaires est quand même plus complexe qu’une position de principe. 1° Il y a des équipes municipales d’union qui fonctionnent très bien, sont réellement utiles aux populations : doit-on pour refuser symboliquement une alliance abandonner ces territoires à la droite ? 2° Les communes où nous sommes aux affaires nous offrent un soutien logistique indéniable et 3° la question financière est capitale : un seul exemple, la fédé 78, après les derniers échecs électoraux à dû licencier deux salariés sur les trois… Ces questions-là JLM n’en a cure et c’est lui qui a choisi d’en faire des points de rupture du Front de gauche. Cela lui a aussi fait perdre la frange récupérable du PS, car la politique ce sont aussi, et même peut-être d’abord, des affects.
      Il nous maltraite encore davantage par les menaces qu’il fait peser sur les investitures aux législatives, malgré quelques récentes concessions sur une partie de nos sortants, également par les brimades qu’il fait subir à nos militants, par exemple en refusant nos drapeaux dans « SON » cortège du 18 mars ou dans ses meetings : il oublie trop que la politique est un jeu collectif et non un régiment au pas derrière un caudillo.
      Mes mots sont peut-être durs, mais je crois qu’ils reflètent une certaine réalité et je pense que tu le sais. Tu as forcément déjà entendu des réactions de rejet du personnage autour de toi. Cela ne m’empêchera pas de voter Mélenchon, car son programme est celui qui me convient le mieux. J’admire le talent du bonhomme mais je n’ai plus la moindre confiance en lui : il pratique avec nous comme le font les socialistes dans leurs guerres internes. Sur ce point, il est resté des leurs.
      Penser que le PCF aurait pu se ranger derrière Hamon me semble une hypothèse farfelue et si certains y ont pensé, c’est d’abord à cause de l’attitude de Mélenchon…
      Là dessus, mon camarade, je suis bien convaincu que nous nous retrouverons dans des combats communs et je déplore le gâchis actuel. On aura sûrement l’occasion d’en reparler…
      Amitiés

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  2. Michel

    Point sur ce que je vois de cette élection :
    De récents contacts me confirme que, comme disent les commentateurs, « de nombreux Français n’ont pas encore fait leur choix » .
    Beaucoup autour de moi (parmi mes amis ou camarades) hésitent encore entre abstention (ou vote blanc ou nul) et vote Mélenchon.
    D’autres sont déjà « pris » par le vote « utile » ? et penchent vers Macron (pour battre LePen), le choix des Médias sans doute, mais aussi du « Grand Capital ».
    Enfin beaucoup regrettent une gauche de gauche à « 2 têtes » Hamon Mélenchon.

    Quoi d’étonnant d’ailleurs l’exemple (le manque de clarté) vient de « haut »:
    Sur le dernier point , Jean Paul, l’hypothèse Hamon : Michel Guérin ancien élu du PC lui a franchit le pas.
    Concernant le vote Macron, Braouzec(qui a quitté le PCF il y a quelques temps) est l’un parmi d’autres qui c’est prononcé, comme Robert Hue, à l’image certes très discrédité, mais tout de même en son temps secrétaire général du PCF.
    Quand à l’abstention (ou blanc ou nul) ces derniers choix permettront à beaucoup de renvoyer tout le monde dos à dos. (j’ai aussi des propositions de votes Poutou).

    Ceci pour dire, que cette campagne à gauche et même chez les communistes et « sympathisants » laisse les sujets de divergences en l’état confirmant à mes yeux que « nous » sommes toujours en demande de « clarifications sur notre projet nos propositions ».
    La lutte des classes, la baisse tendancielle du taux de profit on en parle encore ?

    Me concernant le vote Mélenchon est acquis, donc une fois de plus je suivrais comme le militant de base que je reste, « les consignes officielles du Parti » même si je m’attends par la suite à entendre de « fins stratèges » m’expliquer qu’en fait, il fallait comprendre « autre chose « (la loi du billard à 3 bandes sans doute).

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