Quelle mouche a piqué Mélenchon ?

front_reg-1024x614Stupeur quand je lis : « Jean-Luc Mélenchon propose en direct sur France Inter un accord préalable pour le second tour des régionales à Daniel Cohn-Bendit ». D’habitude, j’aime bien Mélenchon pour la netteté de ses positions et sa façon claire de les traduire : il dit les choses, même celles qui fâchent, et il le fait avec talent ; mais cette fois, je ne comprends plus… A quoi peut rimer une telle proposition venue de celui qui a quitté le PS en grande partie à cause du soutien de celui-ci au traité de Lisbonne, et adressée à une figure politique européenne qui fut un des plus fervent zélateur dudit traité, et qui de surcroît affiche sans vergogne sa proximité idéologique du MoDem ?

Stupeur aussi, quand j’entends qu’il fait, de sa seule initiative, cette offre au nom du Front de Gauche.  Il est clair que ce n’est pas une foucade subite inspirée par le débat en cours, ni une plaisanterie, ce que j’aurais été porté à croire au seul énoncé de la proposition.  Il est venu en qualité de « grand témoin » à l’émission « les questions du mercredi » consacrée à Daniel Cohn-Bendit, et il a préparé, au mot près, son intervention ; alors comment comprendre cette manœuvre ? Car il faut bien employer le mot : c’est forcément une manœuvre.

S’agit-il de démasquer la stratégie d’Europe-Ecologie qui cherche à capter l’électorat de gauche que constituent (encore et malgré tout) les Verts pour les ramener vers une alliance centriste au second tour ?  Peut-être, mais alors, pourquoi aborder cette question sous l’angle d’une « proposition d’accord »,  laquelle était plutôt de nature à brouiller l’intention réelle (si c’était bien celle-là) ?  Si tel était le but, il aurait été bien préférable d’aborder la question de façon frontale par une demande d’élucidation publique de la position de Cohn-Bendit qui visiblement préférait éviter le débat sur le MoDem (« je ne sais pas ce que c’est vraiment ») et quand Mélenchon évoque le programme libéral de ce parti, il rétorque, d’un ton négligent : « les programmes… les programmes…» ce qu’on peut traduire par « Bof ! » comme si le fait d’afficher un projet libéral était une question mineure.  Si le but de la manœuvre était de forcer le « libéral-libertaire » à assumer ses positions centristes, c’est loupé, car la médiocrité des réponses du leader d’Europe-Ecologie et son embarras ont été complètement occultés par l’incongruité de cette proposition inattendue et contradictoire aux valeurs qu’incarne le Front de gauche.  Proposition qui a bien plus focalisé l’intérêt que les réponses apportées.

Alors quel but ? Quand je dis qu’il a préparé son intervention au mot près, c’est parce qu’il faut bien observer que la proposition est adressée en fait… aux Verts, et non à Daniel Cohn-Bendit !  Il l’introduit d’abord par « J’ai quelque chose à lui [=DCB] proposer, là maintenant, sur ce plateau, lui et moi… et les Verts…» —Verts qui ne sont évidemment pas sur le plateau, mais deviennent dès lors, destinataires à part entière du message ; un peu plus tard, au sujet des listes écologistes, il dit simplement « les Verts » ce qui amène Cohn-Bendit à rectifier : « Europe-Ecologie et les Verts ! », mais, imperturbablement, il reprendra ensuite : « Vous, les Verts…».  Il faut donc penser qu’il s’adresse aux Verts, dont un certain nombre ne sont pas d’accord avec le recentrage auprès du MoDem et qu’il leur propose tout simplement de les mettre en position de force vis-à-vis du PS pour la présidence des régions et cela, dans la perspective de reconstituer ce pôle de l’autre gauche après, d’une part, le cavalier seul vers lequel s’oriente le NPA, et d’autre part, la volonté affichée de Martine Aubry de « travailler avec le MoDem ».  En effet, l’attitude non-unitaire du parti d’Olivier Besancenot, en limitant, hélas ! les ambitions électorales du Front de Gauche, réduit la menace qu’il fait peser sur le PS et sa volonté de recentrage, et cette volonté, qu’il peut dès lors afficher ouvertement, alimente en retour le fonds de commerce du facteur qui est l’affirmation d’une pureté idéologique rejetant toute compromission.  Ainsi, la dénonciation systématique de la compromission du PS et par voie de conséquence de ceux qui accepteraient de s’allier avec lui renforce paradoxalement le glissement de celui-ci vers le centre-droit en affaiblissant ce qui pourrait s’y opposer : un Front de Gauche fort.  L’alliance espérée avec le NPA, qui aurait amené le FG à faire un score à deux chiffres ne pouvant se réaliser, Mélenchon cherche à reconstituer autrement un pôle anticapitaliste pesant dans les urnes.

Que penser d’une telle stratégie ? Si j’en comprends bien et approuve la motivation principale qui est de s’opposer de toutes nos forces à la composition d’une force politique « démocrate », vaguement de centre-gauche, qui marginaliserait le camp anti-capitaliste et mènerait la vie politique nationale vers le bipartisme, il n’en est pas moins vrai que cette proposition d’accord préalable tient du coup tordu politique et risque d’être contre-productive pour plusieurs raisons :

• D’abord, par celui auprès de qui la proposition a été faite : choisir Daniel Cohn-Bendit, social-libéral notoire, centriste avéré qui la semaine dernière encore fraternisait avec François Bayrou, ne peut que brouiller le message de la gauche de transformation sociale à laquelle il est totalement étranger.

• Ensuite, parce que la position du FG, depuis la déclaration commune, est claire : « Nos listes s’engageront, sans ambiguïté, à faire barrage à la droite en se rassemblant avec les autres listes de gauche au deuxième tour à l’exclusion de tout accord avec le Modem. La liste arrivée en tête au premier tour fusionnant avec les autres listes de gauche et écologique proportionnellement au premier tour. Nous demanderons le même engagement au PS et à Europe Ecologie. »  Il est regrettable que l’offre politique unilatérale de Mélenchon ne s’inscrivent pas dans cette stratégie adoptée collectivement.

• Enfin, il ne s’agit donc pas de jouer une alliance de second tour contre une autre, dans des combinaisons douteuses de rivalités d’influence, mais d’exiger des engagements précis de tous les partenaires éventuels sans distinction.  Si j’étais cruel, je dirais que ce genre de combine montre qu’il n’y a pas longtemps que Jean-Luc Mélenchon a quitté la rue Solférino…

Dépêchons-nous de passer outre ce genre de manœuvres qu’il faut oublier et qui n’honorent pas le talent réel de Jean-Luc Mélenchon. Travaillons à un Front solide, sur des bases saines qui ne ressemblent pas à des magouilles conjoncturelles de tendances, mais ayons aussi le courage d’affirmer avec détermination notre volonté, non seulement de ne pas soutenir, mais de contrer, y compris dans les urnes, toute tendance de recentrage de la gauche, car il ne lui resterait de « gauche » que le nom et son rôle se limiterait à celui de roue de secours de la bourgeoisie. Combattre ce recentrage, c’est vouloir sauver toute la gauche d’une dérive à l’italienne. Et c’est un programme sacrément ambitieux, vu son état actuel…

JPR

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