Ne pas se tromper d’adversaire…

Fête de l'Humanité 2011
Rencontre à la fête de l’Huma

Ce billet m’est inspiré par les remarques de quelques amis —socialistes— qui estiment que je m’en prends trop à leur parti et que, ce faisant, je me tromperais d’adversaire, cédant à la vieille tentation gauchiste de taper plus fort sur l’allié qui est juste à ma droite que sur le véritable ennemi. Cela mérite réflexion : puis-je, d’un côté, prôner la nécessaire union de la gauche —de toute la gauche (mais seulement de la gauche)— pour battre la droite et de l’autre ne pas ménager mes critiques sur le PS, son programme, sa stratégie et ses candidats, au risque de compliquer cette union ?

C’est à cette question que je vais m’efforcer de répondre dans ce billet.  Et si possible en essayant d’aller un peu plus loin que l’antisarkozysme élémentaire. Certes, il est urgent de se débarrasser de cette droite politique qui fait tant de mal, qui a accumulé les mesures antisociales, cassé les services publics et le système des retraites, et voudrait instaurer des règles —nationales ou européennes— pour que ce soit le peuple qui paie toujours davantage la folie des spéculateurs. Il est urgent aussi de se débarrasser du chef de cette droite, Nicolas Sarkozy, qui est certainement le plus zélé, le plus arrogant et le plus brutal de leurs agents.  Mais puisqu’on ne doit pas se tromper d’adversaire, il faut aller plus loin et se demander quel est l’ennemi véritable ? Cet agent zélé et brutal de l’Elysée ou ceux dont il défend si bien les intérêts ? Son parti politique qui a le mieux su capter —en en défendant les intérêts— les faveurs (sonnantes et trébuchantes) de la classe qui détient le pouvoir économique, ou cette classe même, qui pour nous a un nom : la bourgeoisie, laquelle ne cherche, à travers lui —comme elle l’a déjà fait et le fera encore avec d’autres—, qu’à assurer sa rente privée contre l’intérêt collectif ?

Poser ainsi la question, c’est y répondre : le personnel politique est interchangeable, et pourvu qu’il serve les intérêts de ceux qui bénéficient du système, quiconque, selon les circonstances, trouvera toujours auprès de l’oligarchie capitaliste de « généreux donateurs » qui lui fourniront les moyens financiers et les outils médiatiques pour conforter leur domination à travers celui qu’ils auront ainsi promu. L’ennemi, ce n’est ni tel chef politique, ni telle formation : l’ennemi véritable, c’est cette oligarchie de profiteurs et le système par lequel elle draine vers elle la majeure partie des richesses produites par l’ensemble du corps social.  Elle a un nom : la bourgeoisie, dans notre terminologie marxiste, et son système, c’est le capitalisme.  Voilà les vrais ennemis nommés ; ce n’est un découverte pour personne, mais peut-être un rappel utile à certains qui l’auraient oublié…

À ceux, par exemple, qui parfois se réclament encore de Jaurès, lequel déclarait, dans son célèbre discours fondateurs « les deux méthodes« , le 26 novembre 1900 :

D’abord, et à la racine même [de la lutte des classes], il y a une constatation de fait, c’est que le système capitaliste, le système de la propriété privée des moyens de production, divise les hommes en deux catégories, divise les intérêts en deux vastes groupes, nécessairement et violemment opposés. Il y a, d’un côté, ceux qui détiennent les moyens de production et qui peuvent ainsi faire la loi aux autres, mais il y a de l’autre côté ceux qui, n’ayant, ne possédant que leur force de travail et ne pouvant l’utiliser que par les moyens de production détenus précisément par la classe capitaliste, sont à la discrétion de cette classe capitaliste. […]

Nous savons très bien que la société capitaliste est la terre de l’iniquité et que nous ne sortirons de l’iniquité qu’en sortant du capitalisme. […]

Oui, le Parti Socialiste est un parti d’opposition continue, profonde, à tout le système capitaliste, c’est-à-dire que tous nos actes, toutes nos pensées, toute notre propagande, tous nos votes doivent être dirigés vers la suppression la plus rapide possible de l’iniquité capitaliste.

Rappel utile aussi à ceux qui se proclament les héritiers de Léon Blum :

Révolution, cela signifie, pour le socialisme traditionnel français : transformation d’un régime économique fondé sur la propriété privée en un régime fondé sur la propriété collective ou commune, voilà ce que cela veut dire. (27 décembre 1920)

Et quant à nous, socialistes, si les conjonctures nationales et internationales étaient telles que, installés au pouvoir, nous puissions sortir du cadre capitaliste et national, alors notre devoir ne serait pas le moins du monde d’essayer d’ériger des formes intermédiaires entre le capitalisme et le collectivisme, mais d’essayer de détruire dans sa racine le capitalisme lui-même et de tenter dès ce moment d’entrer dans le cadre socialiste. (23 août 1933, conférence à l’Internationale Socialiste)

À ceux aussi qui inscrivent le Front Populaire dans leur patrimoine culturel rappelons-leur que celui qui allait en être ministre des finances, avant de devenir président de la République après la guerre, Vincent Auriol, présentait en 1935, au nom des socialistes, un programme de nationalisations. Afin de « diriger, dominer l’économie nationale et arracher au capitalisme et à sa presse  de puissants leviers de commande et d’importants moyens de résistance », il préconisait alors de soustraire aux intérêts privés les chemins de fer, les assurances, les sociétés de distribution électrique, les mines, le crédit et les banques. Et surtout, mettre en place un « contrôle sévère du Comité des Forges », l’ancêtre de notre MEDEF…

Et même s’il est préférable d’oublier son rôle ultérieur dans la sale guerre d’Algérie et son ralliement à De Gaulle en 58, le socialiste Guy Mollet déclarait en 1946 :

…nous pensons que dans la mesure où nous ne serions que des gérants honnêtes et loyaux du capitalisme, nous contribuerions à maintenir, à prolonger quelque chose qu’il faut tendre à détruire et à quoi il faut substituer, par les mutations nécessaires, l’ordre économique voulu par le socialisme.

Et que disait, avec une grande clairvoyance,  Pierre Mendès-France, à l’assemblée  nationale au sujet du traité de Rome et du libéralisme :

Le projet du marché commun tel qu’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du 20ème siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens le plus large du mot nationale et internationale.

Enfin, rappelons aussi ce que disait François Mitterrand à Epinay :

Celui qui ne consent pas la rupture — la méthode, cela passe ensuite — avec l’ordre établi […], avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent au Parti socialiste.

Ce petit tour en quelques citations, c’est presque un siècle de socialisme en France… Les socialistes « modernes« , Valls et autres,  doivent-ils rayer ces noms illustres de leur panthéon politique ?  Ou simplement les conserver comme figures tutélaires et cautions historiques tout en en dénaturant l’héritage intellectuel, pire, en trahissant leur idéal ?

Voilà, ce que je tenais à rappeler : l’ennemi, c’est le capitalisme ; son visage libéral actuel est particulièrement odieux et assurément une malédiction pour le monde en général, pour l’Europe et pour notre pays en particulier.  Être de gauche, ce ne peut être que le combattre, sans compromission ni relâche, dans tous ses aspects.  Pour conclure, j’aurai encore recours à une citation, extraite, cette fois, du discours de Pierre Laurent à la fête de l’Humanité —ce journal qui fut fondé par Jaurès :

Et permettez moi un mot à l’attention de mes amis socialistes et d’Europe Ecologie/Les Verts. Ma franchise sera excusée.

Il y a vingt ans vous nous disiez : soyez démocratiques et nous sommes devenus démocratiques.

Il y a dix ans, vous nous disiez : soyez écologistes et nous sommes devenus écologistes.

Alors aujourd’hui, à vous amis socialistes et écologistes, nous vous disons : soyez de gauche !

Oui, il est l’heure pour la gauche de se désintoxiquer du libéralisme !

JPR

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