L’art du mensonge

Plus un mensonge est répété, plus on finit par se dire qu’il y a un fond de vérité. Voire que c’est tout simplement la vérité. C’est ainsi que fonctionne la calomnie, et effectivement, il en reste toujours quelque chose…

Je n’écris plus que très sporadiquement sur ce blog, mais après avoir écouté la conférence de presse de notre grand menteur d’État, je ne résiste pas à la tentation de faire un peu de sémantique.

Le mot « mensonge » aurait une lointaine origine indo-européenne : [men] qui réfère à l’activité mentale (et on perçoit bien la filiation avec cet adjectif) ; on retrouve la racine, aussi bien dans la véhémence que dans la démence, dans commenter que dans mentir… Le mensonge est, selon le dictionnaire, « une assertion volontairement contraire à la vérité, faite dans l’intention de tromper ». On peut mentir aussi par omission en ne révélant pas une chose qu’on sait être vraie. Macron, à coup sûr, remplit toutes les cases. .

Son propos a d’abord été, assez paradoxalement étant donné le résultat du scrutin mais de façon pourtant prévisible de sa part, un long auto-satisfecit, à croire qu’on est tous des imbéciles de ne pas avoir compris son action ni avoir récompensé celle-ci par notre vote… aveuglement personnel ou mensonge politique, je ne saurai trancher.

La seconde partie de l’intervention —les réponses aux journalistes— lui a permis de faire briller toutes le facettes de l’art de mentir, en particulier pour attaquer le nouveau Font Populaire qu’il refuse même de nommer car selon lui Léon Blum se retournerait dans sa tombe en entendant appeler ainsi une formation qui regroupe des antisémites. Le mot est dit. Dans un tel contexte antisémite, même si c’est le message principal, n’est pas le prédicat de la phrase, l’objet de la discussion auquel on pourrait s’opposer et l’idée passe en contrebande, c’est un présupposé tenu pour acquis par tous. C’est évidemment un mensonge. Je ne dis pas cela pour défendre de façon pavlovienne mon camp et j’en viendrai plus tard aux ambiguïtés de Mélenchon, mais parce qu’il sait que c’est faux, que la gauche a historiquement été liée à tous les combats contre le racisme et sous toutes ses formes. Par contre c’est le même discours que tient l’extrême-droite dont les racines maurrassiennes et pétainistes étaient fondamentalement antisémites. Qu’importe, aujourd’hui, qualifier d’antisémite est devenu la façon de jeter un anathème sans s’embarrasser d’une argumentation. S’il y a des propos ou des actes antisémites de la part de responsables politiques, ils sont certes à condamner sans appel, mais d’abord faut-il les citer… Alors que citent-ils ? Le fait que LFI ait refusé de qualifier de terroristes les tueurs du Hamas, voire parle d’eux comme de résistants. C’est vrai, mais ça mérite un débat sémantique sur le sens des mots. « Terroriste » et « résistant » sont deux termes qui n’entretiennent pas un rapport antithétiques entre eux : on peut être à la fois terroriste et résistant. Le constater, ce n’est pas l’approuver, c’est juste du vocabulaire.

Il faut toujours revenir au sens des mots, et voici ce que dit le dictionnaire : le terrorisme est « l’ensemble des actes de violence (attentats individuels ou collectifs, destructions) qu’une organisation politique exécute pour impressionner la population et créer un climat d’insécurité. » ; « résistant » est d’une acception large et désigne ce qui est rebelle, s’oppose à la volonté d’autrui. « Quand l’autorité devient arbitraire et oppressive la résistance est le devoir et on ne peut l’appeler révolte. » disait Mirabeau. Notons aussi que la résistance à l’oppression est un des droits de l’homme. Cela ne justifie en rien le terrorisme utilisé comme moyen de résistance, ni ne minimise les crimes odieux du Hamas, pas plus que cela n’interdit d’appeler terrorisme d’État les crimes odieux perpétrés sous l’égide du gouvernement israélien à Gaza. Ces deux mots sont en concurrence pour désigner le même référent, l’un est à forte connotation négative, l’autre auréolé de sacrifice et de courage : ce que traduit leur emploi, plus que la nature intrinsèque de leur référent, c’est le point de vue de l’énonciateur.

Après tout, Manouchian et ses compagnons étaient appelés « terroristen » par les nazis et leurs amis collaborationnistes français antisémites lesquels d’ailleurs comptaient dans leur rangs les fondateurs du Front National dont les héritiers actuels dénoncent à hauts cris l’antisémitisme supposé de LFI. Il est vrai qu’eux l’ont remplacé par la haine des Arabes, qui d’ailleurs sont aussi des peuples sémites. Je me souviens, pour avoir travaillé dessus, d’un article du Figaro (15/06/1985) où le journaliste parlait d’une opération militaire illégale de l’État alors raciste de Prétoria contre le Botswana voisin et qui était ainsi titré : « Raid sud-africain contre les terroristes de l’A.N.C. » Raid, opération, agression, attaque, etc sont ici dans un paradigme des vocables possibles où l’énonciateur fait un choix, idéologique évidemment ; il en est de même entre terroristes, rebelles, patriotes, combattants, militants… pour qualifier les membres du Conseil National Africain : ce choix nous révèle juste dans quel camp le journal se place, d’où il nous parle… C’est, pour le quotidien de la droite, celui du régime d’apartheid qui a fini dans les poubelles de l’Histoire alors que Nelson Mandela, membre historique de l’A.N.C. a obtenu le Nobel de la paix en 1993 et est devenu chef d’État…

On pourrait revisiter ainsi la plupart des conflits et des grandes crises internationales. Travail de linguiste et d’historien. La question qu’on peut légitimement se poser ici est comment de telles manipulations sont rendues possibles ? Quel est le fait politique qui a permis que soit lancé l’anathème ? Et là, je vais souligner l’ambiguïté de Mélenchon. J’ai déjà dit qu’à mes yeux il n’était pas soupçonnable d’antisémitisme, mais en digne héritier d’un long parcours au PS, il a fait le choix opportuniste de la stratégie électoraliste et clientéliste qui fit les belles heures des barons socialistes, oubliant en chemin notre vieux principe que seule la vérité même gênante, est révolutionnaire. Il lui préfère certaines omissions… L’antisémitisme, dans la culture catholique traditionnelle française est, comme il le dit, certainement résiduel (encore faudrait-il regarder de près si ce n’est pas qu’une apparence…), mais en est-il de même dans la culture arabe ? J’entre là sur un terrain dangereux où il ne s’aventure pas… Pourquoi est-il dangereux ? Car on c’est le champ où cet antisémitisme musulman —la vérité gênante— est totalement instrumentalisé par la droite, extrême ou non, et sert soit de faux-nez à un vieux racisme colonial, soit d’outil de division des classes populaires. Mais on ne combat pas le mensonge par action de droite avec un mensonge par omission de gauche. Notre lutte commune pour l’émancipation humaine sans distinction d’origine passe aussi par la lutte contre toutes les aliénations religieuses, toutes les discriminations d’où qu’elles viennent. Dire cela n’est pas alimenter le racisme anti-arabe, c’est même au contraire en posant la question en termes universels, refuser la division et la discrimination. En n’affrontant pas cette vérité gênante, Mélenchon prête le flanc aux violentes critiques dont il est l’objet, se coupe dramatiquement d’un peuple de gauche qui l’avait acclamé en 2012 et finalement aujourd’hui affaiblit et divise son camp.

Si je dis cela, ce n’est pas le fait de mon habituel masochisme de gauche, mais parce qu’en cette période, il y a urgence à présenter au peuple une alternative crédible, unie et claire à la fois au macronisme et au néo-fascisme en costar bleu-marine. Et cette alternative, c’est le nouveau Front Populaire.

JPR

Une réflexion sur “L’art du mensonge

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.